Nouveau pont Champlain

Le Rocket aura son pont

QUÉBEC — Infoman arrivera trop tard avec son concours pour trouver un nom au nouveau pont sur le Saint-Laurent. Le gouvernement fédéral a tranché : l’ouvrage immortalisera Maurice Richard, la légende du Canadien de Montréal.

Depuis près de deux ans, le ministre fédéral Denis Lebel poussait dans cette direction, même si certains à Ottawa avaient d’autres vues, a appris La Presse. L’ouvrage aurait pu souligner la contribution de Jeanne Mance à la naissance de la métropole. Mais, probablement à partir de groupes cibles, on a vite opté pour Maurice Richard, « qui ressortait nettement », confie-t-on. Clin d’œil aux fans, on souhaite annoncer ce choix le 9 décembre – un rappel du numéro que portait le Rocket.

Dans un reportage de La Presse, en 2012, le ministre Lebel avait déjà évoqué ce nom, et souligné que le regretté hockeyeur se démarquait nettement parmi toutes les suggestions soumises par les Québécois. 

« Les gens nous disent que c’est un digne représentant du Québec qui faisait l’unanimité. »

— Denis Lebel, en 2012

L’année précédente, Stéphane Laporte avait, le premier lancé, l’idée, dans une chronique de La Presse.

Au cabinet du premier ministre Stephen Harper, comme à celui du ministre Denis Lebel on restait évasif hier. « Aucune décision de prise à cet égard » résume-t-on.

Le seul nom de Richard a une puissante valeur symbolique. Félix Leclerc, le barde national, avait dit de lui : « C’est le vent qui patine. C’est tout le Québec debout ! » À sa mort en mai 2000, on lui avait accordé des funérailles d’État, un rarissime honneur réservé aux personnes ayant profondément marqué la société québécoise. Ses obsèques avaient eu lieu à la basilique Notre-Dame, après qu’il eut été exposé en chapelle ardente, 15 heures durant, sur la glace du Centre Molson. On estima que 115 000 amis, connaissances et surtout amateurs de hockey ont défilé pour lui rendre un dernier hommage.

Maurice Richard, le fils aîné du Rocket, a entendu des rumeurs sur un pont nommé en mémoire de son père. « Un haut placé m’en a parlé, mais ce n’est pas quelqu’un du gouvernement », disait-il hier. Les critiques de certains historiens rappelant le rôle de Champlain dans l’histoire du Québec font toutefois hésiter la famille, qui ne voudrait pas que le nom de leur père alimente une controverse, lui qui avait horreur de ce genre de chose. « C’est la crainte qu'on a », dit-il.

CHAMPLAIN OUBLIÉ ?

Henri Dorion, qui a fait trois mandats, plus de 12 ans, à la tête de la Commission de toponymie du Québec, n’a pas été consulté, mais a entendu parler du projet. Il juge toutefois inapproprié le choix que se prépare à annoncer Ottawa. Si l’ancien pont Champlain est démoli, comme il est prévu, pourquoi ne pas transférer le nom au nouvel ouvrage ?, se demande-t-il. « On ne change pas le nom pour le plaisir, il est inscrit dans des milliers de documents, de contrats, d’ouvrages », dira le responsable de l’ouvrage Noms et lieux du Québec.

« Donner le nom d’un ouvrage d’une telle importance à un joueur de hockey, je n’en reviens pas. C’est comme dire que Maurice Richard est aussi important que Champlain. Il ne faut pas mélanger les choses, M. Richard a été un personnage important dans son domaine, je ne veux pas minimiser sa contribution dans le sport, mais selon moi, ce n’est absolument pas approprié pour un élément aussi important du paysage », poursuit M. Dorion.

« Je ne trouve pas qu’un pont ait un lien avec le hockey. Champlain a remonté le fleuve Saint-Laurent, fondé des villes, visité Montréal, on est loin du hockey ! »

— Henri Dorion, ancien président de la Commission de toponymie du Québec

Le nom d’un ancien politicien pose toujours problème ; il y a des controverses, l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau a fait grincer des dents dans les milieux nationalistes. « Mais ces noms finissent par passer », observe-t-il.

En toponymie, il n’y a pas de règles strictes, de laps de temps entre la mort d’un personnage et l’attribution de son nom, mais il est bon qu’il y ait un lien entre la personnalité et le lieu. Le nom de Claude Béchard, le ministre libéral mort prématurément du cancer, pour une nouvelle autoroute dans son coin de pays, peut se justifier facilement, donne le spécialiste à titre d’exemple.

— Avec Joël-Denis Bellavance et Alain de Repentigny

Nouveau pont Champlain

CHRONOLOGIE

21 AOÛT 2008

La Société des ponts fédéraux avance dans des rapports que construire un nouveau pont serait plus rentable à long terme que de continuer à rénover la structure existante. Le premier ministre Stephen Harper indique qu’il n’a encore pris « aucune décision définitive » quant à la construction d’un nouveau pont.

16 SEPTEMBRE 2008

Radio-Canada révèle des rapports indiquant que le pont Champlain montre des signes inquiétants de dégradation : la structure est dans un état médiocre et doit être réparée dans les meilleurs délais.

28 JANVIER 2009

Dans son discours sur le budget, le ministre des Finances, Jim Flaherty, annonce un investissement de 212 millions de dollars pour la réfection du pont Champlain.

17 MARS 2011

Deux rapports d’experts remis à Transports Canada révèlent que le pont Champlain est tellement fragile qu’il risque de s’écrouler en partie et doit être remplacé au plus vite.

19 MARS 2011

Malgré les rapports accablants, les autorités fédérales refusent de s’engager à appuyer la construction d’un nouveau pont en remplacement du pont Champlain.

8 AVRIL 2011

Le ministère des Transports du Québec crée un « bureau des partenaires » pour coordonner ses actions avec la région métropolitaine, avant et pendant la construction éventuelle d’un nouveau pont.

6 OCTOBRE 2011

Le gouvernement fédéral annonce qu’il construira un nouveau pont pour remplacer le pont Champlain. Il prévoit inaugurer la structure au plus tard en 2021. L’imposition d’un péage est envisagée.

12 NOVEMBRE 2013

La Société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain incorporée est en état d’alerte : elle a découvert une fissure verticale d’une largeur inquiétante sur l’une des poutres principales du pont Champlain.

30 NOVEMBRE 2013

Une « super-poutre » d’acier de 75 tonnes est installée sur le pont pour le sécuriser.

2 DÉCEMBRE 2013

Ottawa annonce que le nouveau pont Champlain sera prêt en 2018 et ne fera pas l’objet d’un concours d’architecture. L’architecte Poul Ove Jensen sera conseiller pour la conception du nouveau pont.

29 MARS 2014

Malgré les critiques, le gouvernement Harper dépose un projet de loi omnibus dans lequel il confirme son intention d’instaurer un péage sur le nouveau pont.

JUIN 2014

Le ministre de l’Infrastructure, Denis Lebel, assure qu’aucun nom n’a été retenu pour le nouveau pont. Il admet que le nom de Maurice Richard lui a souvent été suggéré. « Je ne veux pas soulever de polémique », dit-il.

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